Avec plus d’une vingtaine d’albums de Valérian et Laureline, tous chez Dargaud et dessinés sur quarante années par Jean-Claude Mézières, Pierre Christin aborde l’exploration du futur. Alors que la science-fiction est à l’époque presque absente de la bande dessinée française, cette série relevant aussi bien de l’opéra de l’espace que de la littérature spéculative annonce autant les enthousiasmes des années soixante-dix que les inquiétudes des décennies à suivre. Mariant l’humour et l’aventure, le glamour et le bestiaire, le pamphlet et le polar, c’est une œuvre relevant autant de la sociologie, de l’ethnographie, ou du récit de voyage dans des mondes imaginaires, que de la SF au sens strict du terme. Nombreux sont les thèmes novateurs abordés au fil des albums : écologisme et menaces environnementales, conflits à connotation ethnico-religieuse, manipulations génétiques et psychiques, montée en puissance des multinationales et du contrôle médiatique. Sans compter les combats pour la différence sexuelle ( y compris chez les extravagantes créatures extra-terrestres peuplant tous les albums), avec Laureline, l’une des premières héroïnes à part entière dans un genre encore très masculin. Si Valérian relève de l’anticipation, c’est aussi et surtout un moyen de parler du présent en le surchauffant pour mieux le déchiffrer. Avec les risques que cela comporte: annoncé dès 1968 dans La Cité des eaux mouvantes, un cataclysme nucléaire imaginaire prévu pour 1986 aura finalement lieu cette année là…à Tchernobyl ! Ce n’est pas la seule projection troublante de Valérian, qui se clôt cependant, sinon sur une vision utopique de l’avenir, du moins sur la croyance en la pérennité des civilisations, terriennes...ou autres.

Sur un mode souvent plus sombre, Pierre Christin aborde d’autres dimensions de la science fiction dans ses nouvelles et ses premiers romans (Le Futur est en marche arrière, Les prédateurs enjolivés), où le ton se fait souvent critique et la dénonciation des puissants sévère.
On en trouve d’autres exemples dans des albums de BD de facture très différente (avec Jean Vern, Patrick Lesueur, etc.) Dans un film écrit pour Bilal, Bunker Palace Hotel (1989, avec Jean- Louis Trintignant, Jean-Pierre Léaud, Carole Bouquet, etc.), il brosse une métaphore souterraine de la fin des dictateurs… annonçant celles encore à venir de Ceaucescu ou Saddam Hussein. Avec Le Sarcophage (2000), sa dernière œuvre en compagnie d’Enki Bilal, il boucle la boucle en offrant au site dévasté de Tchernobyl un inquiétant Projet pour un Musée de l’Avenir .